La consanguinité et son utilisation en élevage félin

 

 

Consanguinité : le mot qui fait peur. Dans l’esprit de beaucoup, il est synonyme de dégénérescence ou de tare héréditaire. Pourtant, la consanguinité est avant tout un outil d’élevage. Et comme tout outil, selon l’utilisation qu’on en fait, la consanguinité peut être la pire ou la meilleure des choses.

 

I.                   La consanguinité est une probabilité.

Avant de disserter sur les bienfaits ou les méfaits supposés de la consanguinité, il convient de comprendre de ce dont on parle. Car la consanguinité n’est pas un fait : c’est une probabilité. C’est donc une valeur numérique que l’on calcule avant d’assister au fait réel - qui, soit dit au passage, dans le cas de la consanguinité, n’aura jamais lieu… quoique, avec le nombre croissant de tests génétiques sur le marché… La consanguinité, ou plus exactement le taux de consanguinité, indique le pourcentage de chances, pour un gène donné, lors d’un tirage avec remise, de tirer 2 fois le même allèle par ascendance. Et là, ça y est, je suis sûre que j’ai perdu la moitié de mes lecteurs avec cette définition ! Pas de panique, ne fuyez pas ! Retenons juste que la consanguinité n’est rien de plus qu’un pourcentage de chances de trouver chez l’individu consanguin l’allèle (c’est-à-dire la forme du gène) qui nous intéressait chez l’ancêtre commun. Cette définition est approximative, mais elle donne une idée de ce dont on parle, et surtout, elle va vous permettre de comprendre certaines données.

 

II.                Calculer le taux de consanguinité.

Maintenant que l’on sait ce qu’est la consanguinité, il convient de savoir la calculer correctement. Commençons par le plus simple : Carbone Copy. Tout le monde se souvient de Carbone Copy, cette petite chatte, clone d’une autre chatte donneuse. Alors attention : le taux de consanguinité de Carbone Copy n’est pas de 100%, mais seulement de 50% ! Et oui, réfléchissez : elle a bien sûr hérité de la totalité du génome de sa donneuse, mais dans le génome d’un chat, chaque gène est présent en 2 exemplaires. Donc, si je choisis, disons, le gène X et que pour ce gène, je tire au sort un premier allèle, lors du second tirage, je peux soit retirer le même exemplaire, avec une probabilité de 50% ou ½, soit tirer l’autre exemplaire, avec la même probabilité de 50% ou ½ (ce ne sont que 2 façons d’écrire la même chose). Voilà pourquoi le taux de consanguinité de Carbone Copy n’est que de 50% (ou ½).

Ca y est, vous avez compris ? Oui, c’est bien ça : le deuxième tirage me donne une probabilité de seulement 50% de retrouver le même allèle. Et bien, maintenant, si on ajoute des générations, il faut rajouter des tirages supplémentaires, puisqu’à chaque génération, seule la moitié du génome d’un individu est transmis à sa descendance : voilà l’explication du ½ dans la formule du calcul du taux de consanguinité que je vous livre maintenant :

 où :

Le taux de consanguinité Fi n’est qu’un taux partiel ; pour connaître le taux de consanguinité total, il faut additionner l’ensemble des taux de consanguinité pour l’ensemble des chemins de l’ensemble des ancêtres communs. Bien-sûr, tout cela est très abstrait, et c’est pourquoi nous allons prendre un exemple.

Imaginons donc le cas de Ramoth. Ramoth est une adorable petite chatte de gouttière, qui possède deux ancêtres communs dans son ascendance (très fréquent chez les gougout’). Voici son arbre généalogique :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1 : arbre généalogique de Ramoth.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet arbre généalogique est extrêmement complexe. Mais attelons-nous à la tâche. Première étape : repérer les ancêtres communs. Ici, il y en a deux : Mister T et Cléo. Ils sont repérés en rouge.

Deuxième étape : identifier l’ensemble des chemins possibles pour chaque ancêtre commun. Il est important de comprendre ici qu’un chemin ne repasse JAMAIS deux fois par le même ancêtre et ne peut pas non plus aller plus haut que l’ancêtre commun. Le chemin part de Maman, remonte jusqu’à l’ancêtre commun, et redescend vers Papa.

Commençons par Cléo : il n’existe qu’un seul chemin possible (en rouge sur le schéma). Il y a 4 individus le long de ce chemin. Le taux de consanguinité du chemin rouge est donc :

Mais le taux de consanguinité de Cléo n’est pas nul puisqu’elle-même possède un ancêtre commun en la personne de Sethi. Calculons le taux de consanguinité de Cléo :

Cela nous donne donc la formule suivante pour le taux de consanguinité de Ramoth lié à Cléo :

Prenons ensuite le cas de Mister T : lui n’est pas consanguin, mais 2 chemins passent par lui (un bleu et un vert). Le taux de consanguinité pour le chemin bleu, qui compte 5 ancêtres, est :

Le taux de consanguinité pour le chemin vert, qui compte 4 ancêtres, est :

Additionnons maintenant ces trois taux de consanguinité pour trouver le taux de consanguinité total de Ramoth : Framoth = 0,0625 + 0,03125 + 0,0703125 = 0,1640625. Soit un taux de consanguinité d’environ 16,41%, ce qui est une valeur plutôt élevée.

 

Après cette petite application pratique, reprenons quelques grandes lignes de la consanguinité :

·        Plus l’ancêtre commun est éloigné, plus le taux de consanguinité est faible.

·        Plus l’ancêtre commun est présent (plusieurs chemins pour cet ancêtre), plus le taux de consanguinité augmente.

·        La répétition des mariages consanguins au sein d’un même pedigree fait augmenter le taux de consanguinité.

 

III.             Les différents types de consanguinité.

Voyons maintenant ce qu’il en est de quelques mariages « particuliers ».

a.      Le mariage frère-sœur.

Ce type de mariage est fort tentant au premier abord : on prend le frère qui compensera au mieux les défauts de sa sœur, et on se dit qu’on va ainsi fixer et les caractères du frère, et ceux de la sœur. Oui… mais non. Dans le cas d’un tel mariage, il est impossible de savoir de quelle partie du génome du père et de quelle partie du génome de la mère chacun a hérité. Dans l’absolu, il est tout à fait possible que le frère ait hérité de la moitié du génome du père totalement différente de celle dont a hérité la sœur… et de même pour le génome de la mère. Dans ce cas, le mariage frère-sœur revient tout simplement à refaire le mariage qui les a engendré l’un et l’autre. En fait, un tel mariage fait prendre plus de risques qu’on ne peut espérer tirer de bénéfices. Ce type de consanguinité, très mal maîtrisée, est donc peu intéressant.

b.      Le mariage père-fille ou mère-fils.

A l’inverse, dans le cas des rétro croisements - ou back cross en anglais -, on est sûr que les deux géniteurs (le père et la fille ou la mère et le fils) ont la moitié de leurs gènes en commun. On sait donc, si on associe cette consanguinité à une sélection drastique, quels sont les caractères que l’on pourra espérer fixer, en l’occurrence ceux que l’on retrouvera et chez la mère, et chez le fils.

Il est intéressant, à ce stade de la réflexion, de noter que le taux de consanguinité d’un mariage père-fille est le même que celui d’un mariage frère-sœur, à savoir 25% dans les deux cas (voir tableau 1). On peut donc tirer une nouvelle conclusion de ceci : le taux de consanguinité seul n’est pas suffisant pour connaître les risques et les bénéfices d’un mariage…

 

 

Tableau 1 : les taux de consanguinité de quelques mariages. D’après Robinson’s Genetics for Cat Breeders & Veterinarians, fourth edition.

 

Type de mariage

Taux de consanguinité (en %)

Père / fille

25

Mère / fils

25

Frère / sœur

25

Demi-frère / demi-sœur

12,5

Oncle / nièce

12,5

Grand-parent / Petit-enfant

12,5

Cousin / cousine

6,25

Demi-cousin / demi-cousine

3,13

Petit-cousin / petite-cousine

1,56

 

c.       Création de lignées homozygotes.

En fait, un autre facteur intervient dans la consanguinité. Il s’agit de la répétition des mariages consanguins d’une génération à l’autre. Les chercheurs en génétique connaissent bien ce facteur et l’utilisent pour créer des lignées homozygotes. En effet, en répétant les mariages consanguins à chaque génération, on augmente dans les faits le taux d’homozygotie, c’est-à-dire le nombre de gènes présents à l’état homozygote (même forme du gène pour les deux exemplaires). Ce phénomène a des conséquences non négligeables : réduction de la taille des individus, réduction de leur résistance aux maladies, et diminution de la fertilité.

 

IV.              L’ouverture de sang.

Le gros problème auquel l’éleveur félin se trouve confronté est donc la répétition des mariages consanguins. En effet, la consanguinité est la base même de la création d’une race féline. A de très rares exceptions près, elles ont été créées à partir de quelques individus fondateurs seulement, d’où il ressort que tout individu de race est nécessairement consanguin si l’on remonte jusqu’à la fondation de la race. Toutefois, cela ne semble pas poser plus de problèmes que ça, la plupart du temps. Pourquoi ? Parce que, si on prend un minimum de précaution, on peut très vite faire tendre le taux de consanguinité vers zéro. On a vu plus haut que plus l’ancêtre commun est éloigné, plus le taux de consanguinité est faible. Il convient donc de ne pas multiplier les mariages consanguins rapprochés. Mais l’éleveur félin dispose aussi d’une arme redoutable pour faire retomber le taux de consanguinité à un niveau proche de zéro : l’ouverture de sang. L’ouverture de sang consiste à marier un individu ayant un fort taux de consanguinité avec un individu n’ayant aucun lien de parenté avec lui. Dans l’absolu, pour que tel soit le cas, il faudrait un individu n’appartenant pas à la race, ni même à une race apparentée (et pour certaines races à très faible effectif, comme le sphynx il y a encore quelques années, c’est sans doute ce qu’on pouvait recommander de mieux), mais bien-sûr, cela suppose de perdre le type jusqu’alors travailler, ce qui est un brin ennuyeux dans l’esprit de l’élevage félin… Aussi pourra-t-on se contenter d’un individu très très éloigné, issu par exemple d’une sélection parallèle sur un autre continent, ou tout simplement d’un travail mené en parallèle avec un éleveur ami. Comment ça « je suis en train de rêver » ?! Cette ouverture de sang fait immédiatement retomber le taux de consanguinité à presque zéro. Cependant, attention à ce que vous faîtes à la génération suivante : n’oubliez pas que le taux de consanguinité de l’ancêtre commun fait augmenter celui de la descendance…

 

En résumé, la consanguinité doit être pratiquée à bon escient, en suivant quelques règles de base :

En suivant ces trois principes, il est possible de faire de la consanguinité le meilleur allié de l’éleveur félin. Ajoutons-en un quatrième : si un mariage consanguin donne naissance à des individus malades, fragiles, ou atteints d’une tare génétique quelconque, il faut être responsable et en tirer les conclusions qui s’imposent : la lignée concernée doit alors être écartée du circuit de la reproduction. Quoique… mais ceci est un autre sujet.

 

Référence : Carolyn M. Vella, Lorraine M. Shelton, John J. McGonagle and Terry W. Stanglein. Robinson’s Genetics for Cat Breeders & veterinarians. Fourth edition. 1999. Butterworth Heinemann.