L'habit ne fait pas le moine

Plaidoyer pour des pedigrees basés sur la génétique

 

 


            Les siamois et orientaux peuvent se décliner dans toutes les couleurs. Une des couleurs les plus fascinantes est sans nul doute le blanc. Mais c'est aussi une couleur sujette à débat. En effet, un tel chat blanc aux yeux bleus est-il oriental ou siamois ? Notre propos, ici, va être de donner des pistes pour répondre à cette question.

 

            Etant donné que nous allons devoir faire appel à des notions de génétique, commençons par en rappeler quelques bases. Tout d'abord, le gène : un gène est une unité fonctionnelle du génome qui gouverne un caractère physique. Un gène peut prendre plusieurs formes ou allèles. Deux gènes vont être étudiés ici : le gène white qui contrôle la couleur blanche, et le gène de l'albinisme.

            Le gène white possède deux allèles : W qui amène la couleur blanche, et w qui donne un chat coloré. On dit que W est dominant sur w car une seule dose de W suffit à donner un chat blanc, alors qu'il faut deux doses de w pour que le chat soit coloré (on rappelle qu'un individu possède deux copies de chaque gène). Les chats blancs peuvent donc être de génotype WW ou Ww, alors que les chats colorés sont obligatoirement ww. Une autre façon de le dire est que w est récessif par rapport à W.

            Le gène de l'albinisme, quant à lui, possède cinq allèles : C (le chat est entièrement coloré), cb (le corps est légèrement plus clair que les points : patron burmese), cs (le corps est clair et les points foncés : patron siamois), ca (albinos aux yeux bleus), et c (albinos aux yeux rouges, probablement létal). Seuls deux allèles seront utiles à notre propos : C et cs, avec C dominant sur cs. Les orientaux - entièrement colorés – sont CC ou Ccs, tandis que les siamois sont cscs.

            Ajoutons maintenant une difficulté supplémentaire… Le blanc masque l'effet des autres gènes de couleurs. On dit que l'allèle W est épistatique sur tous les autres gènes de couleur, c'est-à-dire que la présence de l'allèle W du gène white empêche de voir l'expression des autres gènes de couleur de robe, et en particulier du gène de l'albinisme. Il est parfaitement admis qu'un chat blanc puisse avoir pour génotype : W* cscs (l'étoile siginifie que n'importe quel allèle peut être présent, ici W ou w).

 

            Historiquement parlant, le blanc a été introduit chez le siamois, par les principes de génétique connus et énoncés précédemment. D'après les auteurs de Robinson's Genetics for Cat Breeders and Veterinarians (1), le but était de "produire une race pure de chat blancaux yeux bleus. Cela fut réalisé en combinant l'allèle cs du siamois avec l'[allèle] blanc dominant W. La robe est entièrement blanche du à l'[allèle] W et les yeux sont toujours bleus du au génotype cscs." Le génotype de ces chats est donc bien W* cscs. Notons ici que contrairement à une idée reçue, de tels chats peuvent être, comme n'importe quel autre chat blanc, sourds ; il convient donc de faire les faire dépister pour la surdité.

            Le problème en face duquel se trouvent les éleveurs actuels de siamois et orientaux est qu'il est apparu des chats blancs aux yeux verts ou impairs. Ces couleurs d'yeux ne s'expliquent que par la perte du génotype cscs, soit par l'introduction d'orientaux dans l'ascendance, orientaux qui ont amené l'allèle C. Ceci implique qu'il existe désormais des chats blancs aux yeux bleus dont le génotype est W* C*. Autrement dit, on n'est plus, à l'heure actuelle, en présence d'une lignée pure ! La question qui se pose alors est : peut-on distinguer un chat W* C* d'un chat W* cscs ?

 

            D'un point de vue phénotypique, c'est-à-dire en se basant sur le physique du chat, deux points peuvent être pris en considération : l'intensité du bleu des yeux et la présence, à la naissance, d'une tâche colorée. La couleur bleue des yeux ne résulte en effet pas du même processus selon qu'elle est due au génotype cscs ou à l'allèle blanc dominant W. Dans le premier cas, le bleu n'est due qu'à une faible concentration du pigment de l'œil, alors que dans le second cas, le bleu est associé à l'absence du tapetum (couche cellulaire du fond de l'œil). On pourrait donc s'attendre à ce que les blancs de géntoype cscs aient un bleu plus profond que ceux de génotype C*. Hélas, différents éleveurs assurent qu'il n'en est rien : même intensité des yeux.

            Qu'en est-il du second point, la présence d'une tâche colorée ? Il est vrai que certains chats blancs naissent avec quelques poils colorés, et il est effectivement impossible que de tels chats soient cscs puisque ce génotype est associé à des chatons naissant intégralement blancs. Néanmoins, la réciproque n'est pas vrai, à savoir qu'un chat W* C* peut naître également sans aucun poil coloré. On peut donc identifier avec certitude certains chats W* C*, mais pas les chats W* cscs. Du moins pas sur la base de l'observation physique…

 

            L'étude du pedigree, en revanche, permet dans la plupart des cas, de résoudre le problème. Prenons l'exemple d'Arhantin Snowstar (voir fig 1). Il est issu d'un siamois, Arhantin Wendel, de génotype ww (non blanc) cscs (colourpoint), et d'une chatte blanche, Arhantin Vrouw-Maria, de génotype W* (blanc), ?? (impossible à déterminer sur son physique). Cette chatte est elle-même issu d'un siamois ww cscs et d'une chatte blanche W* ?? ; on peut donc en déduire que Vrouw-Maria a hérité un allèle w et un allèle cs de son père, et son génotype est donc Ww cs? Le même raisonnement peut être reconduit pour se mère et la mère de sa mère. Vrouw-Maria semble être issue d'une lignée de siamois et de blancs et l'on peut affirmer avec une quasi certitude que son génotype est Ww cscs. Son fils, Arhantin Snowstar ne peut donc être que Ww cscs.

Le même raisonnement pourrait être conduit pour Okonor Hópehely. Le mariage d'Hópehely avec un siamois seal point, donc ww cscs, a donné naissance à un chat bien connu des podiums : Razmoket des Motards en Délire. Ce chat blanc est donc nécessairement Ww cscs. De plus, s'il fallait un argument supplémentaire, sur trois portées, avec trois siamoises différentes, comptabilisant un total de 17 chatons, il n'a engendré que des colourpoints et des blancs. On ne peut donc pas discuter pour l’instant le fait que ce chat est Ww cscs. Pour autant, peut-il être enregistrer comme siamois blanc?

 

C'est là que l'affaire se corse car les différents livres d'origine ne sont pas d'accord sur ce point. La position du LOOF semble être que le siamois blanc n'existe pas. Si on reprend le standard LOOF du siamois, publié dans un précédent Charabia, on note que notre livre français décrit le siamois comme un chat colourpoint ; or, il est indéniable qu'un chat blanc n'est pas colourpoint.

En fait, deux options se présente pour établir un pedigree : soit un enregistrement en fonction du génotype (cas du KFG allemand), soit un enregistrement sur le phénotype (cas du LOOF, du GCCF anglais, et de la CFA Nord-Américaine à renommée mondiale). Dans le premier cas, le siamois se définit par la combinaison allélique cscs, et par conséquent les chats blancs de génotype cscs sont enregistrés comme siamois blancs ; dans le second cas, le siamois se définit par des points plus foncés que le corps et les chats blancs, quelque soit leur génotype, sont enregistrés comme orientaux blancs (LOOF), ou selon une appellation particulière qui ne tranche pas entre oriental et siamois, le foreign white (35 selon la numérotation du GCCF). La FIFe, bien que signalant que le code EMS qu'elle utilise n'est pas basé sur la génétique reconnaît également ces chats comme des siamois blancs et les enregistre sous le code SIA w 67… Le site n’est pas très clair mais il semble hélas que tous les foreign white soit enregistrés comme siamois blancs dans cette organisation.

Pourquoi le LOOF s'est-il basé sur le phénotype ? Peut-être par soucis de simplifier le travail de déclaration de l'éleveur… Mais, au troisième millénaire, peut-on encore ignorer la génétique ? Ne risque-t-on pas des erreurs importantes en ignorant le génotype des chats ? Car un siamois blanc ne peut pas engendrer d'orientaux, alors qu'un oriental, lui, le peut ! Imaginons un étalon qui est un siamois blanc, mais qui aura été enregistré comme oriental blanc… l'éleveur n'a-t-il pas la justification que son siamois blanc peut engendrer des orientaux ? Ceci est évidemment un cas imaginaire, mais il est apparu récemment sur un forum de discussion un cas réel : une personne ne comprenant pas que son chaton, issu de deux parents sans blanc, ne puisse pas être reconnu comme "et blanc"… pourtant banal application des lois de la génétique (deux individus sans blanc ne peuvent engendrer que des chatons sans blancs). L'explication probable de ce cas est qu'un des deux parents est en réalité avec blanc mais que la dose de blanc est si faible qu'elle apparaît invisible. En basant les pedigrees sur le phénotype, ce parent doit être enregistré comme sans blanc mais PEUT donner naissance à des chatons avec blanc. C'est du moins ce qui devrait se passer si on suit la logique du phénotype jusqu'au bout.

D'autre part, le monde de l'élevage félin français ne doit pas se replier sur lui-même : nos chats ne sont pas si exceptionnels que nous puissions nous le permettre, sans compter les risques liés à une trop grande consanguinité. Or, la plupart de nos voisins européens ont choisi de baser leurs pedigrees sur le génotype. Comment expliquer à un éleveur allemand ou hollandais qui vous a acheté un siamois blanc, que ce chat, bien qu'enregistré comme oriental blanc, est bien un pur siamois ?

Je ne peux que prôner de baser nos pedigrees sur la génétique… Cela ne peut que simplifier le travail de l’éleveur, qui saura alors, simplement en lisant le pedigree, les couleurs que son chat peut engendrer. Mais il est également important que le LOOF prenne ce genre de décision en partenariat avec nos voisins européens. A ce prix seulement, il pourra y avoir une réelle coopération entre éleveurs français et étrangers. Le débat est lancé.

 

Myriam Gullaud

 

Références :

1. Carolyn M. Vella, Lorraine M. Shelton, Jhon J. McGonalgle et Terry W. Stanglein. 1999. Robinson's Genetics for Cat Breeders and Veterinarians. Fourth Edition. Edition Butterworth Heinemann. NB: disponible sur amazon.com

 

Pour la génétique des couleurs de robes, vous pouvez également consulter le livre d'Alyse Brisson : De quelle couleur seront mes chatons ? aux éditions du Point Vétérinaire.

Ou notre site web : http://nhakyrielle.free.fr/genetique.htm